Réflexions sur le statut ontologique du zygote (1/3)

zygote | Definition, Development, Example, & Facts | Britannica

Article mis à jour en 2022.

Le débat sur l’avortement et le statut ontologique du zygote

L’avortement est l’une des questions de société les plus politiquement sensibles (certes moins en Europe qu’aux Etats-Unis). Paradoxalement, on entend peu le débat philosophique qui sous-tend cette question, celui du statut ontologique du zygote. Je dis « paradoxalement » bien que ce ne soit pas forcément évident. Les militantes féministes qui parlent du « droit des femmes à disposer de leur corps » ne font pas de référence à l’embryon. Ce sont les droits reproductifs des femmes qui sont au centre de leur discours, pas ceux du zygote. De même, la question juridique autour de l’avortement (interdire ou autoriser, jusqu’à quelles limites, et selon quelles modalités) est indépendante de la question du statut ontologique du zygote puisque le droit et la morale sont deux choses différentes. Mais on sait bien, cependant, qu’elle lui est profondément liée.

Toute la législation sur l’avortement est sous-tendue par l’implicite que « jusqu’à un certain point, c’est possible, mais au-delà, c’est immoral ». Dans le monde, il y a très peu d’Etats qui autorisent l’avortement à la demande à n’importe quel moment du terme —en fait, seulement quelques Etats américains. En effet, l’OMS définit le seuil de viabilité du fœtus à 22 semaines d’aménorrhée (soit 20 semaines de grossesse, ou 5 mois), ou d’un poids du fœtus de 500 grammes. C’est cette définition qui est le plus souvent reprise dans la plupart des pays du monde ou l’avortement est autorisé — ce qui explique que les plus « avancés » en la matière dépassent rarement cette limite : elle définit en effet le seuil à partir de laquelle le fœtus, sans être déjà considéré comme un être humain,  dispose de certaines protections. Seuls six Etats dans le monde autorisent l’avortement à la demande après 20 semaines : Singapour, l’Islande, la Colombie, les Pays-Bas et le Vietnam.

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Source et légende : Wikipédia

Dans les faits, même dans les législations les plus permissives, les IVG au-delà de 20 semaines sont très rares.

Avortement aux Etats-Unis (2016) par âge gestationnel

Le débat sur la législation de l’avortement est multiple mais s’appuie donc implicitement sur le statut accordé à l’embryon. Parfois, c’est même explicite : en 2021, est entré en vigueur au Texas le Heartbeat Act qui proscrit l’avortement à dix semaines, lorsque les battements du cœur sont détectables.

Philosophiquement, l’expression statut ontologique se comprend comme situation par rapport à la nature de l’être, ontologie (ontos-logos) signifiant littéralement « discours sur ce qui est ». Il s’agit donc de réfléchir sur ce qu’est un zygote humain, d’un point de vue biologique évidemment, mais encore d’un point de vue moral. Est-ce une personne humaine à part entière ? un simple amas de cellules ? un matériau biologique ? quelque chose d’indéterminé ? un individu ? un individu potentiel ? quand, et comment faire la distinction ? Je m’appuierai sur un livre lu récemment : Le zygote est-il une personne humaine ? du philosophe Pascal Ide (2003).

Comme on l’a souligné, cette question est spéculative : elle peut sembler éloignée des préoccupations des médecins ou des femmes souhaitant réaliser une IVG, et n’a qu’un lien indirect avec la législation sur l’avortement. Elle n’en demeure pas moins centrale.  Selon que l’on considère un ovocyte fécondé comme une personne à part entière ou comme un amas de cellule, ou comme quelque chose entre les deux, la position que l’on aura sur l’avortement sera forcément différente.

Non pas que la position philosophique que l’on adoptera induise mécaniquement une position politique sur l’avortement en tant que droit social : on peut conclure que le zygote est une personne humaine mais être favorable à l’avortement dans certaines limites pour des raisons socio-économiques (lorsque la femme enceinte est absolument incapable d’accueillir et d’élever un enfant), ou en cas de viol, par exemple. A l’inverse, on peut s’opposer à la recherche sur les embryons au nom d’un principe éthique de respect dû à l’embryon sans pour autant considérer celui-ci comme une personne humaine à part entière, car « reconnaître une personne est un acte autant éthique que scientifique » (Pascal Ide). Quoi qu’il en soit, toutes les positions sont sous-tendues par le débat sur le statut ontologique de l’embryon.

I. Qu’est-ce qu’un zygote ?

Un zygote est un ovocyte femelle fécondé par un spermatozoïde mâle. Le terme zygote vient du grec et signifie joint, attelé. On peut parler indifféremment d’œuf, de cellule-œuf, ou d’œuf fécondé. Le terme s’applique à tout être vivant mais on l’utilisera ici pour le seul être humain, c’est-à-dire le zygote de l’espèce Homo sapiens. Le zygote est le tout premier stade de l’embryon, que l’on appellera plus tard fœtus (vers 9 semaines). La phase embryonnaire correspond à la formation des organes, la phase fœtale à leur développement. Environ quatre heures après la pénétration du spermatozoïde dans l’ovocyte, un zygote observé au microscope électronique ressemble à cela :

Source : fiv.fr

D’un point de vue biologique, c’est un organisme unicellulaire eucaryote (sa cellule possède un vrai noyau, d’où le terme eu = vrai et caryote = noyau) et diploïde (son ADN est organisé en paires de chromosomes).

II. Le zygote est-il un être vivant ?

Un être vivant a par définition une existence (être) et une vie (vivant), ce qui signifie qu’il évolue. Son existence est bornée chronologiquement : il naît puis il meurt. C’est une tautologie, mais la première caractéristique d’un être vivant est d’être mortel. Entre ces deux temps fondamentaux, il grandit (se développe) et se transforme d’une façon ou d’une autre.

D’autre part, un être vivant interagit avec son environnement, notamment en puisant dans celui-ci sa capacité de survivre. Il s’agit du métabolisme, fonction spécifique des êtres vivants qui inclut par exemple la respiration et la nutrition quel que soit son mode. Un être vivant qui n’a pas l’environnement adéquat (température, oxygénation de l’air, eau…) meurt. Le métabolisme est l’ensemble des réactions chimiques qui permettent à un être vivant de se maintenir en vie et de se développer.

Enfin, lorsqu’il a atteint un certain stade de développement, un être vivant peut donner naissance à d’autres êtres vivants : c’est la reproduction, qu’elle soit végétale ou sexuée. Ce critère semble être le moins significatif des trois dans la mesure où les êtres hybrides (par exemple un mulet) sont stériles par nature et sont quand même des êtres vivants. Ou encore : les êtres qui n’ont pas encore atteint leur maturité sexuelle et ne peuvent pas se reproduire sont tout de même des êtres vivants.

Utilisons l’argument par opposition : le monde non-vivant (typiquement le monde minéral) n’est concerné par aucun des trois principes que nous venons d’énoncer. Il n’est pas mortel, son existence n’est pas bornée chronologiquement ; il n’interagit pas avec son environnement en puisant de l’énergie dans celui-ci ; il ne se reproduit pas de façon autonome, ne peut pas donner naissance à d’autres entités. Notons qu’il y a un débat entre savants au sujet des virus mais l’opinion commune est que, sauf exceptions, ce ne sont pas des organismes vivants : même s’ils ont une existence (ils peuvent être détruits), ils n’ont pas de métabolisme propre, ils doivent utiliser celui d’une cellule-hôte : par eux-mêmes, ils ne peuvent ni stocker de l’énergie, ni en fabriquer, ni en utiliser, ni se reproduire. On peut comparer les virus à des chaînes-types d’ADN qui deviendraient dangereuses en infectant des cellules. Mais ces chaînes sont complètement inertes en dehors d’une cellule-hôte, d’où l’exclusion de la plupart des virus au monde du vivant.

Le zygote est-il alors un être vivant ? Cela ne fait aucun doute. Premièrement, il est mortel, puisque on estime qu’entre 50 et 70% des zygotes n’aboutiront pas à une grossesse viable (avortements spontanés). Deuxièmement, il se développe par division cellulaire. Au bout de cinq à sept jours, on parle de blastocyste, qui possède déjà près de 100 cellules. Troisièmement, il interagit avec son environnement, à savoir le corps de sa mère d’où il puise son énergie et les conditions nécessaires à sa survie. En revanche, un zygote ne peut pas donner naissance à d’autres êtres vivants. Cela n’en demeure pas moins un être vivant, car il en possède les principales caractéristiques.

III. Le zygote est-il un être humain ?

Un être humain est une espèce particulière du groupe très large qu’on a précédemment appelé « être vivant ». Nous n’utilisons pas à ce stade le mot « être humain » dans le sens le plus courant qui est celui de personne dotée de droits (ce sera pour la seconde partie). Notre interrogation est plus simple : savoir si le zygote, en première intention, appartient à l’espèce homo sapiens. Homo sapiens étant un animal, on doit commencer par se demander si le zygote est un animal ou s’il appartient à la vie végétative. Il y a plusieurs différences importantes entre animaux et végétaux :

  • au niveau de la mobilité : elle nulle chez les végétaux, jamais nulle chez les animaux ;

  • au niveau du système nerveux : la quasi-totalité des animaux possède un système nerveux ou, à tout le moins, un système sensitif (même rudimentaire dans le cas des invertébrés), contrairement aux végétaux ;

  • au niveau de la nutrition : les végétaux sont autotrophes, c’est-à-dire qu’ils se développent en utilisant uniquement de la matière inerte : le carbone contenu dans l’air, l’eau et l’azote contenus dans la terre, ou d’autres sels minéraux. L’énergie utilisée pour ce processus est l’énergie solaire : captée par les feuilles, elle utilise les minéraux et l’eau contenu dans la terre pour transformer le carbone de l’air en oxygène, afin de produire des glucides qui servent à la croissance de la plante : le processus est appelé photosynthèse. Inversement, les animaux sont hétérotrophes (heteros  = autre et trophê = nourriture) : pour se développer, ils prélèvent des molécules dans leur environnement à partir d’autres organismes, c’est-à-dire à partir de matière organique, issue d’êtres vivants : ce peut être des végétaux (herbivores, dont les granivores et les xylophages qui se nourrissent de bois), des animaux morts (nécrophages), et enfin des animaux vivants (parasites et prédateurs dont l’homme est le plus important). Ce fonctionnement animal nécessite un système digestif complexe, c’est-à-dire des organes dédiés à la digestion : là encore les animaux se distinguent car les végétaux n’ont pas de système digestif (même les plantes carnivores n’ont ni tube digestif ni estomac).

  • au niveau de la respiration : pour fabriquer des glucides, les animaux utilisent l’oxygène comme comburant et non pas le dioxyde de carbone.

  • au niveau cellulaire : les structures cellulaires fondamentales sont identiques chez les végétaux et les animaux (noyau, chromosomes, cytoplasme) : ils sont tous eurcaryotes, ce qui les distingue des bactéries qui sont procaryotes (littéralement, “qui n’ont pas un vrai noyau”). Cependant, les cellules végétales ont, en plus d’une membrane, une paroi composée d’un glucide appelé cellulose (très épaisse dans le cas du bois), alors que les cellules animales n’ont pas de parois, seulement une membrane. Les cellules végétales possèdent aussi des organelles qui n’existent pas dans les cellules animales, comme les plastes (organelles qui sont à la base de la fonction chlorophylienne).

A l’aune de ces critères, le zygote est-il un animal ? Si l’on s’en tient aux trois derniers critères, à savoir le niveau cellulaire, nutritionnel ou respiratoire, la réponse est clairement positive, puisque le zygote possède les caractéristiques du taxon animalia. Le point de discussion sera certainement celui de savoir si l’on peut nommer « animal » un organisme qui n’est, à ce stade, qu’unicellulaire. En général, on réserve ce terme aux organismes multicellulaires mais on pourrait rétorquer qu’il existe de très nombreux organismes vivants unicellulaires —comme les bactéries— et surtout, que le zygote n’est unicellulaire que quelques heures. Quatre jours après la fécondation, il est au stade de « morula » et possède déjà 32 cellules.

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Bien entendu, il est évident qu’il ne s’agit pas d’un animal « complet » : son système nerveux n’existe pas encore, sa mobilité est très limitée. Il est probablement plus précis de dire que le zygote appartient au règne animal que de dire qu’il est un animal.

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Sur cette image, on voit clairement la membrane fermant l’accès aux autres spermatozoïdes (également visibles) ainsi que les deux pronuclei (petits cercles au centre du zygote), qui sont les deux noyaux de l’ovocyte et du spermatozoïde : au bout de quatre heures environ ils vont fusionner, ce qui signifie la réunion des deux ADN parentaux et la naissance d’un nouvel ADN.

Le zygote appartient-il à l’espèce homo sapiens ? C’est certain puisqu’il est le fruit de la rencontre entre un spermatozoïde (gamète mâle) et un ovocyte (gamète femelle) de cette espèce. Son ADN l’atteste :  un zygote possède déjà toute l’information génétique de l’être humain qu’il deviendra, aucune information supplémentaire n’est ajoutée au cours de la grossesse. L’ADN est essentiel car c’est ce qui constitue le zygote en tant que zygote : tant que le gamète mâle et le gamète femelle n’ont pas fusionné leurs ADN, on a bien une cellule, mais elle n’est pas vraiment individualisée puisque elle contient un mélange disjoint d’ADN mâle et femelle. A l’instant où ces ADN fusionnent (entre trois à six heures après la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule), on a un nouvel organisme unicellulaire opérationnel : le zygote.  Cet organisme est tout aussi vivant que le spermatozoïde et l’ovocyte qui lui ont donné naissance, mais il est quelque chose de plus (de nouveau) puisque dès cet instant il a un développement et une autonomie propre, dirigé par son génome. Par rapport aux gamètes, le zygote se développe tout seul par division cellulaire. Il est évident dans ces conditions qu’on ne peut pas comparer le zygote, qui est un être vivant avec un ADN entièrement spécifique et nouveau, des cellules reproductrices qui l’ont généré, qui sont appartiennent entièrement au corps des géniteurs (et en possèdent l’ADN).

L’ADN qui permet tout cela est contenu dans le noyau cellulaire du zygote, sous forme de séquences (les gènes), à l’intérieur des chromosomes, au nombre de 46, allant toujours par paires : 23 proviennent du spermatozoïde mâle et 23 de l’ovocyte femelle. On peut comparer ce code génétique au code informatique d’un logiciel : il dirige le développement et la croissance de l’embryon depuis la fécondation jusqu’à la naissance. Par exemple, le sexe du futur bébé est déterminé dès la fécondation en fonction du chromosome sexuel dont le spermatozoïde mâle était porteur : s’il était porteur d’un chromosome Y, alors l’ADN du zygote possède un chromosome X (issu de l’ovocyte) et un chromosome Y et on aura un garçon ; si le spermatozoïde était porteur d’un chromosome X, alors le zygote possède deux chromosomes X et on aura une fille.

De nombreux autres traits du futur bébé sont déjà déterminés à ce stade, comme la couleur des cheveux, la taille, la forme du nez, la présence de tâches de rousseur, le groupe sanguin, etc. Le zygote contient déjà toutes ces informations et l’être humain qui viendra au monde les gardera jusqu’à sa mort. Au cours de la division cellulaire, elles seront dupliquées des millions de fois pour former les milliards de cellule qui composeront les tissus du futur bébé. Pour filer la métaphore numérique, la réplication de l’ADN est comparable au démarrage d’un ordinateur : le processeur lit les instructions numériques en binaire et procède à des milliards de calculs successifs pour passer d’un écran noir à votre superbe papier peint Windows de la même façon que l’ADN est “lu” pour construire progressivement le corps de l’embryon jusqu’à aboutir à un être humain complet. Une erreur de séquençage, et c’est la maladie génétique.

Nous avons présenté le sujet et conclu que le zygote est un être vivant de l’espèce homo sapiens : c’était le plus facile. Dans la seconde partie, nous commencerons à nous demander si le zygote est une personne humaine.

 

2 réflexions sur “Réflexions sur le statut ontologique du zygote (1/3)

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