Des vertus du silence

Désormais tout le monde estime avoir des choses intéressantes à dire, personne n’est plus capable de s’évaluer justement soi-même et de s’abstenir de publier ce qui ne mérite pas de paraître, le volume de la production éditoriale rend impossible de reconnaître ce qui a de la valeur, ce qui signifie que nous avons une censure d’un genre nouveau, la censure par ensevelissement sous la masse. Laurent Lafforgue

Une balade dans un grand magasin culturel ne peut que confirmer cette impression. Impossible, même pour un gros lecteur, de suivre dans la masse des nouveaux titres qui paraissent chaque jour, les volumes considérables de toutes sortes et sur tous sujets, de la place de l’islam à l’affaire Gayet en passant par les mille analyses sur la crise, les cent analyses pour mieux vivre, mieux dormir, mieux consommer, mieux voter, mieux ci, mieux ça. Et que dire des flux d’information considérables qui circulent sur le web et défilent devant l’écran ? Journalistes, économistes, sociologues, politiques, chroniqueurs, commentateurs divers et variés, tout le monde estime avoir quelque chose à dire. Et à publier. Ce modeste blog fait partie, sans doute, du brouhaha général.

Cet empilement continu d’informations a bien sûr des vertus, qui sont la diffusion rapide de la connaissance, la remise en question des autorités préétablies, la créativité intellectuelle, la recherche de nouveaux modèles, l’esprit de débat propre à la démocratie. Mais comment, dans tout ce fatras, la vérité ne serait pas noyée ?

C’est l’un de ces défauts souligné par Lafforgue. Lorsque tout le monde estime devoir donner son avis sur tout, la vérité est plus dure à chercher, plus dure à trouver. Il y a une censure sous la masse. Pour un bon livre, combien de merdes ? Combien de temps perdu à discuter des idées à la con, quand on manque déjà du temps nécessaire pour discuter des bonnes idées ?

Dans une page de mon blog, où j’inscris des références culturelles, j’écrivais : « Nous sommes le fruit de tant d’Histoire, de tant d’écrits, de tant de décisions sur lesquelles nous n’avons pas eu prise ! Pourtant, nous sommes souvent dans un perpétuel recommencement intellectuel, refaisant les débats de nos aînés dans des termes identiques, apportant des réponses partielles à des questions que d’autres avant nous ont abordés plus complètement. »

Il y a là de quoi désespérer. Jamais nous n’avons eu, à notre portée, autant de connaissances. Jamais nos ancêtres n’auraient imaginé pouvoir posséder (presque) toute la connaissance du monde avec un appareil qui tient dans la poche d’un pantalon. L’auraient-ils seulement cru ? Jamais plus qu’aujourd’hui nous n’avons disposé, en quelques heures, d’une information aussi rapide, précise et détaillée sur n’importe quel sujet. A côté du web, la grande bibliothèque d’Alexandrie est une plaisanterie.

Sommes-nous pour autant (collectivement) plus intelligents, plus nuancés, plus réfléchis, plus intellectuellement ouverts ? Poser la question, c’est y répondre. Alexandre Delaigue écrit très justement : « On pourrait croire qu’à notre époque informée, dans laquelle il suffit de quelques minutes pour disposer sur n’importe quel sujet d’une formation considérable, les erreurs ont tendance à disparaître par exposition aux faits. C’est exactement l’inverse qui se produit. Loin d’être un moyen de se confronter à des idées qui pourraient nous faire changer d’avis, la profusion d’information nous permet au contraire de picorer exactement ce qui confirme nos idées préétablies. Les réseaux sociaux, dans lesquels nous choisissons ceux que nous écoutons et avec lesquels nous discutons, servent de caisse de résonance ; même la recherche google, dont les résultats sont de plus en plus personnalisés sur la base de notre historique de navigation, organise le biais de confirmation au lieu de nous en préserver.  »

On reste dubitatif devant la masse considérable d’informations et d’ouvrage écrits par tout le monde et par n’importe qui, par les experts qui pensent être arrivés au bout de la connaissance et par les non-experts qui pensent qu’on peut la remplacer par la bonne volonté, l’indignation, le témoignage ou la morale. Aujourd’hui trier le vrai du faux, démêler le rigoureux du simpliste, l’inutile du profond, semble presque être un travail à part entière.

Mais le faisons-nous ? Même en sciences, l’excellent journaliste scientifique Pierre Barthélémy rappelle à de multiples reprises que les chercheurs passent plus de temps à essayer de faire la découverte extraordinaire ou publier LE papier original qu’à vérifier la rigueur scientifique de leurs analyses. Régulièrement, on apprend qu’une étude a montré ci ou ça. Mais combien contiennent des biais statistiques et méthodologiques ? Combien de jeux de données “oubliés” ou interprétés d’une façon qui va dans le sens de la conclusion attendue ? Combien de fois parvenons-nous à reproduire les résultats de l’étude en question ? Combien de chercheurs vérifient les travaux de leurs collègues ? Combien de biais liés à la politique, les préjugés, les intérêts financiers ? Et si c’est déjà le cas dans les milieux scientifiques, hyper-spécialisés, hyper-formés, hyper-intelligents, que peut-on dire des autres milieux ?

Cela nous rappelle en tout cas que nos technologies ne sont que des moyens, des espaces d’expression, certes plus sophistiqués que les précédents, mais qui ne changent pas les créateurs et les destinataires du message : nous. Cela nous rappelle que le progrès éthique ne va pas nécessairement aussi vite que le progrès technique, et que le discernement est une vertu cardinale des temps médiatiques.

Cela nous rappelle les vertus du silence.

Garder le silence, quel mot étrange ! C’est le silence qui nous garde. Bernanos

8 réflexions sur “Des vertus du silence

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  4. a se que je vois j était moi même on erreur merci de m avoir montré mon erreur mais ou tiré cet faculté de discernement bref comment évité de dire de la merde le monde est complexe et même avec tous les recherches du monde on peux toujours se tromper même avec vous bref conseille je ne peux garantir la vérité n il pas mieux de ne jamais ouvrir la bouche ?

    • Bien sûr que le monde est complexe et que personne ne peut garantir la vérité. Cela n’interdit pas de s’exprimer ni d’avoir des convictions ! Il faut simplement faire preuve de prudence et continuer à chercher avec persévérance. L’humilité est clé : j’ai mes idées et mes convictions, mais je reste ouvert et je suis prêt à examiner des idées nouvelles. Je n’ai pas le monopole de la vérité.

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